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qu'à ce qu'étant vaincu par la multitude, et dénué de toutes armes et instrumens pour se deffendre, fut as­sommé près une fenêtre par laquelle il se vouloit jetter, pour cuider se sauver.
Telle fut la fin du capitaine Bussy (0, qui étoit d'un courage invincible, haut à la main, fier et audacieux, aussi vaillant que son épée; et pour l'âge qu'il avoit, qui n'étoit que de trente ans,étoit aussi digne de com­mander à une armée, que capitaine qui t en France; mais vicieux, et peu craignant Dieu : ce qui causa son malheur, n'étant parvenu à la moitié de ses jours, comme il advient aux hommes de sang tels que lui. Il possedoit tellement M. le duc son maître, qu'il se van-toit tout haut d'en faire tout ce qu'il vouloit, voire et avoir la clef de ses coffres et de son argent, et en prendre quand bon lui sembloit ; [de laquelle vanterie on disoit qu'il se fût aisément passé.] Il aimoit les let­tres, combien qu'il les pratiquât mal, et se plaisoit à lire les histoires, [et entr'autres les Vies de Plutarque;] et quand il y lisoit quelque acte généreux et signalé, fait par un de ces vieux capitaines romains : « Il n'y a « rien en tout cela, disoit-il, que je n'exécutasse aussi « bravement qu'eux à la nécessité ; » ayant accoutumé de dire qu'il n'étoit né que gentilhomme, mais qu'il portoit dans l'estomac un cœur d'empereur. Si bien que, pour sa gloire, Monsieur le prit à dédain, et le hait sur la fin autant qu'il l'avoit aimé du commence­ment; ayant même, selon le bruit commun, consenti à la partie qu'on lui dressa pour s'en deffaire. En quoy se vérifie un méchant proverbe ancien parlant des princes,
(-) Capitaine Bussy : Brantôme a fait son éloge. ( Capitaines illustres françois. )
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